Le « Pfizergate » : Un scandale européen révélateur des fragilités de la transparence et de la lutte contre la corruption
À l’aube d’une décision judiciaire aux retombées politiques inédites, une controverse vieille de plusieurs années éclaire d’un jour cru les failles de l’Union européenne en matière de transparence et de lutte contre la corruption. L’affaire des SMS échangés entre Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, et Albert Bourla, PDG de Pfizer, pendant la pandémie de Covid-19, illustre le malaise profond qui entoure les processus de décision à Bruxelles, notamment dans le cadre des marchés publics.
L’opacité d’une négociation multibillionnaire
Tout démarre en avril 2021 : une journaliste du New York Times tente d’obtenir, dans le cadre d’une enquête, l’accès aux messages échangés entre la cheffe de l’exécutif européen et le patron du géant pharmaceutique autour de la négociation, dans l’urgence, d’un colossal contrat d’achat de vaccins anti-Covid. Face à la pression médiatique puis institutionnelle, la Commission européenne oppose un refus catégorique, arguant que ces messages, par nature « éphémères » et dénués selon elle de « contenu substantiel », n’ont pas été archivés et ne sont donc plus disponibles. Un argumentaire jugé irrecevable par nombre d’observateurs et finalement balayé, trois ans plus tard, par le Tribunal de l’Union européenne.
Une décision judiciaire au parfum d’humiliation institutionnelle
Dans sa décision du 14 mai 2024, la justice européenne a infligé un revers cinglant à la Commission, estimant que l’institution avait manqué à son devoir de transparence et de bonne administration : la Commission n’a pas « donné d’explication plausible » au sujet de la disparition de ces messages, et n’a pas effectué de recherches sérieuses pour les retrouver. Les juges rappellent que, selon le droit européen, tout document – indépendamment de son support – lié à la politique de l’UE doit pouvoir être rendu public s’il présente un intérêt pour l’action institutionnelle.
Des réactions politiques qui transcendent les clivages
Ce qui frappe, au-delà du volet strictement juridique, c’est la défiance généralisée que suscite l’affaire parmi les parlementaires, ONG et experts. À gauche, comme à droite, l’affaire est qualifiée d’« humiliation », de « préjudice durable pour la démocratie » et de « flou porteur de méfiance vis-à-vis de toutes les institutions ». Des voix s’élèvent pour une réforme profonde de la réglementation sur l’accès aux documents et la création d’instances éthiques indépendantes permettant l’encadrement strict des pratiques de lobbying et des négociations à huis clos dans l’Union.
Le terreau de la corruption : définitions et pratiques
Le manque de transparence et la gestion opaque des marchés publics nourrissent inévitablement la suspicion de corruption. Or, c’est précisément cette opacité, dénoncée de longue date par la société civile et les eurodéputés, qui sert de terreau au populisme et à la remise en cause du projet européen. Anna Hinds, responsable chez Transparency International, résume cette inquiétude : « Lorsque des décisions affectent la santé de millions de personnes, le secret ne peut prévaloir. Les accords publics majeurs ne doivent pas être conclus par messages privés, mais dans le cadre de procédures assurant la responsabilité démocratique. »
L’ombre persistante du doute : messages disparus et responsabilité institutionnelle
La Commission, en persistant à entretenir le doute sur l’existence ou non de ces SMS, puis en arguant que les téléphones de la présidente auraient été renouvelés « pour raisons de sécurité », attise les doutes quant à la capacité des institutions à se prémunir contre la corruption et à garantir l’intégrité des processus décisionnels. Dans le sillage d’autres scandales européens, l’affaire incarne le malaise récurrent autour de la perméabilité des hautes sphères de l’UE à l’influence privée : elle vient rappeler le caractère systémique du problème et la nécessité d’établir des garde-fous efficaces.
Une jurisprudence inédite, mais peu de garanties de vérité
La décision de justice ne préjuge cependant pas de la possibilité réelle de retrouver un jour les fameux messages : leur disparition matérielle, avancée par la Commission, sert aujourd’hui d’ultime rempart à la divulgation. Mais l’exigence nouvelle portée par le tribunal – celle d’une recherche active et d’une justification sérieuse en cas d’impossibilité – fait jurisprudence, imposant à l’exécutif européen un devoir de responsabilité renforcé.
Un défi pour la réforme démocratique de l’UE
Le Pfizergate, loin d’être un simple incident de gestion, s’est mué en symbole : symbole d’un système institutionnel où l’absence de transparence ouvre la voie à toutes les suspicions, où la faiblesse des dispositifs anti-corruption mine la confiance citoyenne et où la tentation du secret nuit à la légitimité des décisions les plus cruciales. À l’approche des élections européennes, et alors que les pressions politiques internes rivalisent avec la vigilance accrue de la société civile, le dossier incarne un défi majeur pour la réforme du fonctionnement démocratique de l’UE. La vigilance sur la protection de l’intérêt général et contre les dérives du pouvoir n’a sans doute jamais été aussi en jeu.
Sources
- https://fr.euronews.com/my-europe/2025/05/14/sms-dursula-von-der-leyen-la-commission-europeenne-perd-dans-laffaire-du-pfizergate
- https://www.euractiv.fr/section/politics/news/pfizergate-le-covid-long-politique-dursula-von-der-leyen/
- https://www.politico.eu/article/pfizergate-verra-t-on-un-jour-les-sms-entre-ursula-von-der-leyen-et-le-patron-de-pfizer/
- https://www.euractiv.fr/section/justice/news/pfizergate-le-parlement-europeen-se-rejouit-de-la-decision-de-la-cjue/
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